Regards de dévoration et de dévotion devant la boutique Vuitton, à l'angle des Champs et de l'avenue Georges V. Ceux des touristes, japonais souvent, venus de loin toujours dirait-on. Photographient, soigneusement. Rituel respectueux, empreint de reconnaissance et d'émerveillement. Joie d'emporter un peu de ce monument, de capter le fantasme. Regards pleins d'espoirs frémissants de ceux qui font la queue devant l'entrée, qui s'accrochent de manière presqu'enfantine sur les choses exposées, les lumières et les animations, derrière la transparence de la vitre. Regards levés aussi, vers un ciel révéré -non, sur la typo de l'enseigne, le nom qui renferme dans ses syllabes le secret de la marque. Méta-regards des passants, fascinés et parfois comme émus par les photographieurs (arrêter ses pas pour ne pas troubler la prise de vue), les attendeurs (commenter leur patience, capter leur désir), les regardeurs, persuadés à leur tour de la magie du lieu : s'il n'en était ainsi, comment autant de gens se fixeraient-ils ici dans cette sorte d'adoration ? Ne sont-ils pas chacun une vivante preuve du pouvoir de l'antre siglé ? Chaque regard renforce l'autre. Chaque corps s'intègre dans le mystère joué là. A mon tour, je regarde les uns et les autres, et je me dis que quelqu'un me voit et suit mon regard à moi. J'ai cessé dêtre seulement moi, je suis déjà un détail de cette image-là.
La vitrine est l'obturateur d'un énorme et mystérieux appareil. Jeu d'ouverture/fermeture. Autre chose aussi.
La vitrine de Louis Vuitton n'est transparente qu'en apparence. Elle n'ouvre pas l'espace du magasin. Elle forme en fait un miroir à interprétations multiples. Elle fait naître les images projetées par les yeux qui plongent en elle et y retrouvent, réfléchis et magnifiés, leurs désirs, leurs convoitises, leur rêve, leur curiosité. Miroir d'un ballet de rue. Elle règle la répétition du spectacle, du mystère intérieur au magasin, sur le trottoir, comme si on était dans une salle de danse où les corps se règlent selon l'exercice demandé par le maître. Miroir absorbant : elle donne tout, et rien pourtant. Captation totale. Elle est le cristallin sur l'oeil des fervents. Elle vous prend votre oeil à vous aussi, vous fait passer, le temps d'un regard, côté scène, vous qui pensiez n'être qu'observateur extérieur. Il n'y a pas d'extérieur devant chez Vuitton.
[prolongations 17.02.06] vu ce matin dans la rubriques "Tentations" de Libé, un article sur la relation particulière au luxe de la Tokyoïte, à partir du travail de la photographe Chantal Stoman. Ses travaux photographiques, A Woman's Obsession, font l'objet d'une édition prévue pour septembre 06 (La Martinière). A visiter aussi, via cet article du 24 .09.05, quelques mots sur les devantures du luxe à Tokyo.
(interrogations : les lois de l'attraction du luxe. Le poids (années, architectures, clusters de grands noms autour d'une marque...) du luxe. La relation au luxe. Le moi/le représentation du moi et le luxe. Le luxe et la quête. Quand est né le concept moderne de luxe ?)
Cette description me donne une furieuse envie d'y aller voir. J'ai l'impression (et aussi la crainte) que je vais entrer dans la 4ième dimension par la magie des mots de ta description.....
@++
HK
Rédigé par : henri kaufman | 19.02.2006 à 14:40
En effet, en s'installant devant le "spectacle" ainsi joué, on entre dans une autre dimension... cette vitrine a-t-elle un pouvoir magique ? Elle m'a fait penser à Lewis Caroll et au passage de l'autre côté du miroir. Je suis passée devant à plusieurs reprises : parfois, la scène est muette, il n'y a pas de file d'attente devant l'entrée. Le rideau n'est pas encore levé. Et puis à d'autres moment, l'attention se cristallise, les spectateurs arrivent et leur arrêt, leur suspension, appelle de nouvelles arrivées. C'est dans ces instants que la réalité change ses contours, et que les yeux s'égarent dans un moment scénique. J'aurais aimé être munie d'une discrète caméra, pouvoir reconstruire et concentrer dans quelques images ce mirage luxueux. On a raison de dire que le luxe est un rêve. On y entre, on en sort exactement de la même façon. Dans cette vitrine, y aurait-il un scénario à peine caché ? Ou est-ce juste moi qui ai... rêvé ?
Rédigé par : flo | 19.02.2006 à 15:14
Florence,
quel est ton secret ? Comment fais-tu pour décrire en quelques mots une situation qui nous emporte à des milliers de kilomètres et nous fais rêver suavement ?. Si L. Vuitton savait ce que sa vitrine peut inspirer, ils seraient flattés et t'offriraient immédiatement un sac !!
@micalement.
Henri
Je connais le site aixtal ; il est effectivement remarquable. je vais creuser ce qu'il dit sur Google (merci ...). J'ai bien apprécié son "nébuloscope" bien précieux pour notre métier.
Rédigé par : Henri Kaufman | 21.02.2006 à 18:41
Tu as dit... Secret ? Un des miens est une féroce addiction à Desperate Housewives :)
Je suis aussi une fan de kartoo et de ses jolies nébuleuses sémantiques. En parlant de moteurs, en nébulisant, donc en passant à google : on peut maintenant créer sa page perso sur google... mais c'est encore très en beta. Motorisé 404.
Rédigé par : flo | 23.02.2006 à 22:55