Il arrive parfois qu'une pub passe dans le cache. Ainsi pour telle cène révisualisée et aussitôt attaquée, tel spot xbox qui baisse d'un ton dans le plan media (autocensure de la marque ? calcul de buzzness ? on verra ça plus tard). Pour l'heure, c'est cette image, en affichage, d'Oliviero Toscani pour Nolita Pocket que L'IAP (institut italien d'autodiscipline publicitaire) a interdite, arguant qu'elle mettait en scène une "sexualité déplacée" et un "modèle détérioré d'enfant".
Cette image est troublante en effet. Elle n'est pas directement obscène ni dégradante ; les images "zoophiles chic" de Sisley (2003 si mes souvenirs sont bons), le trash Diesel, un certain "porno chic", le furent autrement. En lecture immédiate, elle ne choque pas, elle n'agresse pas. On pourrait même la trouver assez innocente. Tout au plus pourrait-on lui faire reproche d'une certaine banalité publicitaire, à cette image bien léchée, bien réalisée, castée comme il faut. Les signes sexuels ne sont pas ouverts. Mais pourtant... ils sont là, dans le cache de l'image, glissés dans son ambiguité : les deux enfants pourraient être frère et soeur. Mais leur attitude suggère aussi la maternité, et la construction de l'image appelle les visions picturales de la vierge à l'enfant. Donc, parentalité revisitée dira-t-on, évocation de "la grande" qui prend soin du petit dernier, imitant le geste maternel, pas sexualité. Pourtant. Le sexe à demi montré du bébé, le soutien gorge "infantilisé" mais bizarrement présent de la petite fille (porte-t-on à cet âge un haut de maillot de bain sous une chemise plus qu'entrouverte ?), sont dans une semi-innocence, une suggestion qui les fait basculer dans le signe importé d'un autre univers. L'univers de la sexualité adulte précisément. Il y a là bien plus que la vague évocation de la parentalité. Ce sont ces signes qui, comme venus d'ailleurs, ont été déplacés, transposés dans le monde de l'enfance. Et c'est là que le regard achoppe. Sans eux, l'image était tendre, enfantine. Avec eux, il y a quelque chose qui ne va pas. Comme un malaise. Un sentiment de gêne diffus que j'ai éprouvé devant les angelots fessus de Fragonard par exemple, ou devant certaines pages modes où les models ont l'air d'avoir 14 ans. Ce n'est pas le pénis du bébé, ce n'est pas le soutien-gorge, qui sont source de malaise. C'est la façon dont ils s'insinuent, avec -comment dire ? une sorte de violence invisible, indicible du coup. C'est le hiatus entre le monde des signes de l'enfance et celui du monde des adultes, qui ne peuvent sans se rencontrer risquer de faire surgir des tabous auxquels, au fond de nous, nous ne pouvons renoncer, parce qu'ils protègent l'enfant que nous sommes encore.
Suggestion de motorisation onirique : doutes.
(edit 08.03)
merci à znarf :)
>>si ce n'est déjà fait, découvrez vite http://blogmarks.net, site d'utilité weblique. Pour ceux qui ne connaissent pas : marking dynamique pour lister, partager, chercher, découvrir. On ne le dira jamais assez, c'est vraiment bien.
Oui.
Je suis tout à fait d'accord. La perversité adulte lorsqu'elle pose ses yeux sur l'enfant laisse un goût acétique dans la pensée et la réflexion intimes et cette immixtion de cette sexualité dans ses yeux lorsqu'elle les pose sur l'enfant, apporte le trouble, d'autant plus quand elle sait se montrer.
En eussé-je pensé autant, je n'aurais pas su mieux le dire : merci, j'aime beaucoup le son, la clairaudience de ta lecture.
Rédigé par : kristaristeau | 08.03.2006 à 21:55
Nous sommes donc tous d'accord. Je me souviens moi aussi de cette pub pour sous-vêtement, qui présentait des jeunes filles avec des pauses lascives. Personnellement, je me demande qui sont les personnes qui font ces pubs et ce qu'ils ont en tête.
Flo, merci de m'avoir fait découvrir ton blog.
Rédigé par : Steph | 09.03.2006 à 00:11
En fait ce qu'il y a de plus troublant dans cette image, et qui en rend la lecture pas très facile, c'est que :
> il n'y a pas de séduction sexuelle ouvertement apposée sur la fillette (et encore moins le bébé). La fillette n'est pas désignée par l'image comme objet de désir ou de consommation sexuelle.
> les codes se téléscopent : de filiation (mère/fils, soeur/frère)
> les "signes importés du monde adulte" sont retranscrits en "version enfantine" : le vêtement chez la petite fille, la nudité du bébé.
Il y a aussi le statut de cette image : image publicitaire. Le contexte publicitaire institue une lecture déjà consommatrice, appelante. Prenez un contenu, changez son mode d'exposition, et vous changez aussi au moins en partie le mode de lecture et l'impression produite.
Tenez par exemple, les angelots joufflus, fessus et tout nus de l'iconographie religieuse, reproduits sur une affiche, formeraient certainement une image d'une violence ultime ; ils nous frapperaient alors droit au tabou de l'inceste.
Rédigé par : flo | 09.03.2006 à 01:55
Et cette pub du planing familial, qu'en pensez-vous ?
Il s'agit de la photo d'un corps de femme enfermé dans un dessin de poing dessiné à l'encre rouge et au pinceau, plus ou moins précis. Je n'arrive pas à me décider de sa clarté sur le sujet qu'elle est sensée montrer et favoriser.
Rédigé par : kritaristeau | 14.03.2006 à 09:20
Je n'ai pas cette image sous la main, mais ce que vous me décrivez me laisse imaginer l'évocation de la lutte menée par le Planning Familial pour sortir le corps féminin d'un emprisonnement créé par...le corps social. Si vous avez un jpeg, n'hésitez pas à me le faire parvenir par mail !
Rédigé par : flo | 15.03.2006 à 00:15