Le 31 mai dernier, vous avez pu voir cette annonce en presse quotidienne nationale :
FCB PARIS (1 000 mercis pour le jpeg :) )
Pour la petite histoire : je l'ai découverte en lisant Libé le mercredi 31 mai au matin, au café où je m'arrête habituellement. Du grand format donc, qui rend la créa d'autant plus impactante. 3 personnes à côté de moi, qui l'ont vue en même temps que moi, au moment où je déployais les pages, ont commenté. 3 personnes, bien sûr, ce n'est pas "représentatif" si on veut : mais quand même, la spontanéité de la réaction parle. Oui, ça fait de l'effet, même si le message est attendu, même si l'axe argumentatif est connu. Alors justement : puisque ce message nous est connu, puisqu'il figure sur tous les paquets, qu'est-ce qui rénove l'impact ? On va essayer de creuser. Ma "théorie" est que tout se joue sur l'apparition. Regardez :
- Le noir en fond ne sert pas à évoquer la mort : au contraire, c'est le tracé de la fumée qui l'explicite. Ce fond , c'est une véritable chambre noire photographique : peu à peu, l'image de la Faucheuse se dessine et se révèle à l'oeil. l'image acquiert une mobilité à mesure qu'on la regarde. De deux choses l'une : ou on voit tout de suite l'allégorie de la Faucheuse, ou on ne l'identifie pas pas immédiatement. Mais dans tous les cas, le regard est absorbé par les volutes, et la Faucheuse apparaît plus nettement à chaque instant. Il y a un effet d'apparition, de développement plus ou moins instantané de l'image.
- Le support print fonctionne aussi comme un écran d'ailleurs : l'image se développe, elle est mobile. Ou plutôt, elle mobilise l'oeil (on suit le mouvement de la fumée du regard jusqu'au moment où on a capté l'intégralité des contours).
- La Faucheuse : négatif d'un "bon génie" qui sort de maléfiques "lampes", figure unique surgie des modes de consommation (produits en bas) : à la fois nature, personnalité, vérité et fonction du "produit tabagique", quelle que soit sa forme. On dépasse ici l'argumentation par l'effet. L'adéquation produit/mort apparaît sans argument intermédiaire.
- Le cartouche qui porte l'accroche et qui se détache de façon aussi tranchée, comme en surimposition, contribue à la rénovation de l'impact à mon avis. Il démarre sur le contenu visuel : "le tabac tue". Jusqu'ici, pur et simple effet de clôture et de répétition argumentatif par rapport à l'image. C'est la suite qui est la plus intéressante : "peu importe comment vous le fumez". Il y a le "vous". ça aurait pu être "peu importe comment on le fume", auquel cas on resterait dans le topos, l'assertion, la "proposition toujours vraie" sur le plan logique. Le "vous" change tout, il fait basculer en interpellation et en implication directe. Ce que ça dit, c'est que c'est vous qui mourez en fumant, sans appel, sans échappatoire, sans possibilité de vous raconter par exemple que le narguilé n'est pas nocif. L'accroche vous coince, elle tue l'idée reçue qui masquait ce que vous ne vouliez peut-être pas vous révéler, elle annule le réflexe de défense argumentatif du consommateur ("le filtre protège" ; le narguilé ou le cigare sont moins dangereux"). Le "vous" ne sert pas qu'à cibler : il est une interface active du discours.
- Et puis...détail ? regardez la place du cartouche dans l'annonce. Situé ailleurs, il n'aurait pas le même effet. Il n'est pas directement sur fond noir, il est apposé à la Faucheuse. Il fait le lien entre "elle" et les produits tabagiques d'où elle sort. Il en masque un morceau, mais il contribue à révéler le résultat, il valorise la partie haute de l'allégorie (buste, capuche et la faux). Le cartouche est le coup de lumière qui achève le process de révélation du message dans la chambre noire, et pas seulement parce qu'il reprend le graphisme des avertissements sur les paquets. Il est une apparition dans la page.
L'effet "chambre noire", je l'avais déjà vu dans un autre type de sortie de l'ombre, sur écran :
Flo, pour faire + court que ton (excellente et fouillée) analyse, je dirais que cette annonce est une reïfication parfaitement réussie...
Une fois de plus, la réïfication (transformation d'un concept en chose, pour les non latinistes) donne des communications impactantes, simples comme bonjour, c.a.d. EFFICACES.
Bien sûr, plus ça semble simple, et plus c'est diffficile à concevoir !
Henri
Rédigé par : henri kaufman | 14.06.2006 à 07:58
Je ne te suis pas sur ce noir. Il sert avant tout l'idée sur le plan technique. On peut trouver, à posteriori, qu'il "tombe à pic" et lui trouver une justification conceptuelle. Soit. Pouvait-on seulement imaginer -techniquement parlant- qu'un fond blanc (par exemple) aurait pu aussi bien servir l'éxécution de l'idée ?
Rédigé par : Sir Morgan | 14.06.2006 à 15:41
Merci pour ce blog que je découvre et qui rejoint aussitôt mon agrégateur. Les billets sont vraiment interessants !
Rédigé par : Sébastien Billard | 19.06.2006 à 14:47
Trés bonne analyse.
Mais en terme d'impact sur les fumeurs, qu'en est il ? La grande faucheuse permet certes d'imager le message sur les paquets de cigarette mais je suis plus partisan d'images vraies qui choquent et qui montre les maladies liées au tabac.
Rédigé par : Jérome | 11.07.2006 à 15:51