Regards de dévoration et de dévotion devant la boutique Vuitton, à l'angle des Champs et de l'avenue Georges V. Ceux des touristes, japonais souvent, venus de loin toujours dirait-on. Photographient, soigneusement. Rituel respectueux, empreint de reconnaissance et d'émerveillement. Joie d'emporter un peu de ce monument, de capter le fantasme. Regards pleins d'espoirs frémissants de ceux qui font la queue devant l'entrée, qui s'accrochent de manière presqu'enfantine sur les choses exposées, les lumières et les animations, derrière la transparence de la vitre. Regards levés aussi, vers un ciel révéré -non, sur la typo de l'enseigne, le nom qui renferme dans ses syllabes le secret de la marque. Méta-regards des passants, fascinés et parfois comme émus par les photographieurs (arrêter ses pas pour ne pas troubler la prise de vue), les attendeurs (commenter leur patience, capter leur désir), les regardeurs, persuadés à leur tour de la magie du lieu : s'il n'en était ainsi, comment autant de gens se fixeraient-ils ici dans cette sorte d'adoration ? Ne sont-ils pas chacun une vivante preuve du pouvoir de l'antre siglé ? Chaque regard renforce l'autre. Chaque corps s'intègre dans le mystère joué là. A mon tour, je regarde les uns et les autres, et je me dis que quelqu'un me voit et suit mon regard à moi. J'ai cessé dêtre seulement moi, je suis déjà un détail de cette image-là.
La vitrine est l'obturateur d'un énorme et mystérieux appareil. Jeu d'ouverture/fermeture. Autre chose aussi.
La vitrine de Louis Vuitton n'est transparente qu'en apparence. Elle n'ouvre pas l'espace du magasin. Elle forme en fait un miroir à interprétations multiples. Elle fait naître les images projetées par les yeux qui plongent en elle et y retrouvent, réfléchis et magnifiés, leurs désirs, leurs convoitises, leur rêve, leur curiosité. Miroir d'un ballet de rue. Elle règle la répétition du spectacle, du mystère intérieur au magasin, sur le trottoir, comme si on était dans une salle de danse où les corps se règlent selon l'exercice demandé par le maître. Miroir absorbant : elle donne tout, et rien pourtant. Captation totale. Elle est le cristallin sur l'oeil des fervents. Elle vous prend votre oeil à vous aussi, vous fait passer, le temps d'un regard, côté scène, vous qui pensiez n'être qu'observateur extérieur. Il n'y a pas d'extérieur devant chez Vuitton.